Tout était sans dessus-dessous dans le faubourg. On transportait des morts à la hâte sur des brancards de fortune. D’autres, abandonnés sur le trottoir de bois par leurs proches, qui craignaient la contagion, dégageaient une odeur de putréfaction.
- Ouach ! Ça sent mauvais, fit Margaret grimaçant de dégout.
Depuis une semaine déjà, les autorités tiraient du canon à tout moment, prétendument pour assainir l’air. Des commerçants faisaient aussi brûler du goudron dans de petites casseroles posées sur des réchauds le long des trottoirs, d’où jaillissaient une flamme rouge et une épaisse fumée noire. Le soir, c’était lugubre.
À côté de Margaret, dans la voiture, Gaélen qui l’observait à la dérobée. Sa mince silhouette lui paraissait figée. Ses cheveux cannelle étaient séparé au milieu et descendaient de chaque côté du front et disparaissaient en un chignon derrière ses oreilles. La pâleur de son beau visage trahissait sa peur. Il lui dit doucement.
- Ça va, Margie, tu tiens le coup ?
- Ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle.
C’était une jeune femme forte, délicate dans son aspect, mais pas fragile. N’était-elle pas de sang Irlandais ? Affectée par la vue de tant de misère, seul son sourire, son merveilleux sourire refusait de réapparaître sur son visage satiné. Ce n’était surtout pas le moment de flancher.
Au son des clochettes qui annonçaient le prêtre venu porter le viatique à un mourant, les voitures ralentirent et tout le monde se signa. Puis reprit sa marche tel un cortège funèbre. Et de nouveau le silence, pesant et résigné. Où qu’ils se dirigeaient, les Mitchell voyaient autant qu’ils sentaient cette misère qui rongeait les gens jusqu’à l’os.