Elle revenait de la forêt de Ballycuggaran à la terre couverte de mousses et semée d’aiguilles rousses avec, par endroits, des chicots noirs. Le sentier descendait doucement entre les troncs sévères des mélèzes tandis qu’au-dessus, le ciel se chargeait de nuée. À l’orée du bois, elle franchit d’un saut le petit torrent coléreux, chercha instinctivement la maison des yeux et lécha sur ses lèvres le jus des quelques mûres qu’elle avait picorées au hasard des taillis. Tout-à-coup, elle fronça les sourcils : elle reconnut la silhouette d’Erin bousculé par un des trois hommes en habit rouge qui gesticulaient devant lui. Rassemblant ses jupes, elle hâta le pas, au risque de trébucher dans les hautes herbes du pré, en criant :
- Erin ? Erin ?
Mais quand elle vit les soldats anglais – de la Grande-Bretagne comme on disait – un ressentiment avait pris corps, comme toujours chez les paysans que la soldatesque vient dévaster. Depuis que les premiers détachements anglais s’étaient installés dans le pays, la ronde des uniformes rouges dans les villes et villages, avait violemment modifié la perception que les habitants avaient de cette occupation : réquisitions, expulsions, arrestations, s’étaient multipliées.
Ces soudards roux et blonds, venant de l’Albion – de la fière Albion comme eux disaient – arrivaient par bandes dans les villages, réclamant du vin et de la viande, rudoyaient les hommes et tentaient de forcer les femmes et les filles. Ils ne parlaient pas, ils aboyaient dans une langue souvent impénétrable comme le gallois ou le bas-saxon. Si on tardait à les servir, ils allaient directement aux poulaillers ou aux étables et égorgeaient la première volaille ou le premier quadrupède venu pour l’embrocher et faire ripaille en braillant. On se plaignait de leurs manières à leurs capitaines : ils se tenaient cois deux ou trois jours et revenaient se venger.
On les appela donc « chiens »