Brandon Kennedy ne les avait pas trompés. Un marin avait conduit nos amis à leur cabine respective, tel que convenu, à proximité du grand escalier qui donne sur le pont supérieur. Il y régnait une atmosphère peu réjouissante. La structure de bois était imprégnée de l’odeur désagréable dégagée des corps de ces malheureux passagers entassés au fil des ans dans un espace restreint et mal ventilé.
C’est la bouche et le nez couvert de leur mouchoir que nos amis ont pris possession de leur cabine. En fait de cabine, on leur avait réservé une suite d’étroites cellules séparées les unes des autres par un simple mur de planche alors que les passagers de la cale sous-jacente n’avaient leurs espaces séparés que par des rideaux.
À mesure qu’ils avaient ranger leur cellule, les immigrants remontaient sur le pont respirer plus librement et pour se mêler, au moins par la pensée, à ce mouvement, à cette vie de la terre qu’une longue navigation allait suspendre. Nos cinq amis et nombre d’autres passagers s’étaient postés au bastingage pour adresser un dernier salut et envoyer des baisers aux parents et amis. Ils n’avaient eu le temps de procéder qu’à des adieux hâtifs sur le quai, car le Jane Black ne devait pas manquer la marée descendante.
La dernière amarre larguée, tout le bateau se mit à frémir, tiré par deux remorqueurs à vapeur battants l’eau, s’écarta du quai pour gagner le milieu du fleuve. Les immigrants, accoudés sur la lisse, regardaient sans rien dire les quais, les maisons, la foule qui semblaient se retirer lentement et s’éloigner d’eux.
Par un soleil couchant des plus beau, le navire s’éloigna de la rade et se dirigea, par l’estuaire de la Shannon, vers la haute mer. Parvenu à l’océan Atlantique, il saluait d’un coup de sifflet le départ des remorqueurs et déploya son immense voilure. Des exclamations retentirent parmi les passagers accoudés au bastingage quand l’étrave du bateau fendit les flots gris vert à la sortie de l’estuaire. Côte à côte, les Mitchell et les Flynn regardèrent le littoral s’estomper rapidement en une brume d’un vert doux, puis disparaître, conscients que jamais ils ne reverraient leur terre natale.