Il devait être aux environs de neuf heures trente lorsqu’il glissa ses membres endoloris sous les draps et qu’il s’abandonna enfin, apaisé, aux douceurs du sommeil, tandis que la lune montait lentement dans le ciel. Il fut tout à coup tiré de son sommeil par les cris de Martha, sa femme, et par des hurlements de rage en anglais.
Trois soldats en habit rouge ont fait irruption dans la chambre à coucher et se faisaient menaçants. L’un d’eux, un sergent, armé d’un fusil à baïonnette, dirigeait le commando. À peine éveillé, Erin clignait des yeux dans la pénombre quand il se sentit empoigné vigoureusement et qu’on le bourrait de coup de poing. Stupéfait par cette attaque et complètement ahuri, il leva les bras pour se protéger la tête. En même temps lui tombaient dessus toutes sortes d’épithètes plus désobligeantes les unes que les autres, entrecoupés de cris aigus et discordants poussés par ses assaillants. On l’avait saisi par la gorge et des mains le serraient à l’étrangler.
- Arrêtez…! Arrêtez… Allez-vous-en…! Criait la voix de Martha tout en se débattant et martelant de ses poings l’agresseur qui la retenait avec force.
- Ce matin on vous avait demandé de vider les lieux. C’était un ordre du landlord, et selon toute vraisemblance, vous n’en avez pas tenu compte. Nous sommes disposés à prendre tous les moyens, y compris la force, pour vous expulser sur le champ.
Erin, exaspéré, ayant retrouvé suffisamment de force, repoussa son agresseur d’un revers du bras. Il n’allait pas se laisser tuer sans broncher.
- Cette terre est irlandaise, comme moi, comme mon père qui me l’a léguée. Je veux parler à ce landlord. Je veux qu’il voie par lui-même. Le champ a été ensemencé, le blé a germé dru et il se rendra compte, comme moi, que la récolte sera supérieure à la moyenne. Il sera plus que content du loyer qu’il percevra. Je n’ai besoin que de deux ou trois mois de grâce. Pour cela, je voudrais qu’il revienne sur sa décision et me laisse y vivre paisiblement et le servir de mon mieux ma vie durant.
- Rien à faire, punaise, la décision prise est irrévocable. Tu n’as d’autre choix que de faire ton baluchon et … scram!
- Calme-toi, Erin… Viens, allons-nous-en…! La voix de Matha se faisait suppliante.