Une idée a germé dans mon cerveau : raconter une histoire. L’ « Histoire » est un domaine d’enquêtes où il faut se baser sur des preuves écrites de ce que l’on avance. Sans documents point de salut car on sait très bien que les écrits restent et que les paroles s’envolent. J’ai quelques amis irlandais, établis au Québec depuis plusieurs générations qui avaient une vague idée de ce qui avait décidé leurs ancêtres à venir s’établir en ce pays. Je me suis mis à faire des recherches. Plus de deux ans à fouiller sur internet et dans les archives de l’époque. Griffonner des pages et des pages de notes, imprimer des documents importants, les classer et les consulter souvent en les gardant à disposition. J’avais déjà entendu parler de la « Grande Famine » qui avait sévie dans la verte Erin dans les années 1844 à 1849; mais l’ampleur de celle-ci, et ses effets dévastateurs sur la population m’ont réellement surpris et marqués. Il m’a pris l’envie d’écrire une histoire, un roman, sur le sujet.
Alors voilà, tu supposes une histoire. On devine qu’il va se passer des choses… vu l’ampleur de la situation à cette époque en Irlande, il ne peut s’agir que d’un drame. Il faut mettre en scène les acteurs, décrire leur mode de vie, leur environnement, le contexte social et politique dans lequel ils sont plongés. L’art d’isoler le moment présent à même le flux du temps, tout en racontant une histoire n’est pas chose facile, surtout pour moi qui ne suis pas écrivain. Je me demande toujours ce que sera la suite… et ce qui a pu être l’avant. Imaginer… voir des images dans sa tête et demander à notre imagination de nous les suggérer toutes, et surtout toutes les autres « possibles ». Lorsque l’imaginaire surgit, la moindre image, même embrouillée, parle plus fort qu’une pie.
Imaginer, « inventer », c’est croire sans raison, c’est un peu mettre sa raison en vacances; c’est se donner la permission de transgresser les lois implacables de la logique. L’équilibre entre la raison et l’imaginaire est un équilibre précaire; peut-il m’avoir déséquilibré ? Comme je suis d’un tempérament plutôt rebelle, je me suis allègrement permis cette transgression.
Note de l’auteur :
Bien que la trame de ce roman se déroule dans un contexte historique, chacun des personnages impliqués est une création fictive de l’auteur. Certes, les noms de certains personnages publics y sont utilisés, mais à seule fin de donner plus de réalisme à l’ouvrage. Voici comment commence cette histoire qui, je l’espère, vous plaira :
Nous vivons, ma femme et moi depuis une douzaine d’années dans ce petit village du Québec, perdu entre fleuve et montagnes. Membres dès le début de la soixantaine à la FADOQ (fédération de l’âge d’or du Québec) nous avions été invités en 2011 à la réception de Noël organisée par cette FADOQ dans la grande salle communautaire de notre municipalité, aménagée et décorée avec goût pour l’occasion.
Huit par table, tous gens de 70 ans et plus, nous partagions la nôtre avec, entre autres, Erin Mitchell et son épouse Suzanne, tous deux nés et mariés à Chavigny-sur-Vairon. Le patronyme « Antoine » est peu répandu au Québec, contrairement à ce qu’il est en Lorraine; j’en suis venu à lui parler de mon origine française. De mon côté, je croyais le patronyme Mitchell d’origine écossaise, qu’Erin s’est empressé de rectifier. La conversation en est vite venue sur les origines de chacun. Puis, de confidences en confidences, c’est ainsi qu’Erin nous a parlé de son origine irlandaise par ses grands-parents et de l’histoire de leur fuite du pays jusqu’en sol Québécois.
À environ deux kilomètres de la limite Ouest de Chavigny, deux rues croisent la régionale 354, témoignant de l’occupation de réfugiés irlandais. L’une, la plus longue, a été nommée Irlande-Sud à cause de son orientation plein Sud et l’autre, bien sûr, Irlande Nord. Cinq familles de migrants irlandais s’y sont établies entre 1845 et 1853 avec l’aide du gouvernement de l’époque, mais surtout de la petite population du village et des environs, accueillants et solidaires.
Des bateaux pleins à craquer, de longues quarantaines et des milliers de morts marquent l’arrivée massive des Irlandais au Québec en 1847.
Entre 1815 et 1870, les immigrants irlandais arrivent par centaines de milliers au Canada. Contrairement à l’Ontario, le Québec accueille une majorité d’Irlandais catholiques. Souvent d’origine modeste et d’allégeance anti-impérialiste, ils sont reconnus comme le groupe d’anglophones ayant le plus de points en commun avec les francophones. Ces Irlandais catholiques s’installent dans plusieurs secteurs ouvriers de l’île de Montréal et de la ville de Québec.
Entre mai et novembre 1847, des dizaines de milliers d’Irlandais quittent le Royaume-Uni. Ceux qui survivent au long voyage sur des bateaux-épaves, aboutissent à la Grosse Isle, près de Québec, où ils doivent demeurer en quarantaine. Les gens considérés en bonne santé continuent leur chemin vers Québec ou Montréal où une épidémie de typhus a tôt fait de se déclarer. Durant la première année suivant leur arrivée dans la métropole, 6000 Irlandais meurent, mais on estime que 3 à 4000 canadiens succombent également à cette épidémie. En plus de ce sombre épisode, ces immigrants vivent dans des secteurs ouvriers où les conditions de vie sont souvent déplorables.