Tous les dimanches et les jours de fête religieuse, la famille se rencontrait à l’église de Killaloe où Erin avait un ban réservé. C’était jour de fête pour les Mitchell. Autrefois, avant cette catastrophe, et particulièrement à la fête des moissons, étaient installées de longues tables dans la grande rue du village. Chacune était ornée d’une gerbe de blé nouée d’un ruban et entourées de gens souriants qui s’amusaient fort.
Il y avait à boire, à manger, des confiseries et même un petit manège pour les enfants, et, devant l’auberge, une estrade de bois sur laquelle, plus tard en soirée, on dansait des gigues, des quadrilles au son des bodhràin[1], des violons, des accordéons et des flutes à bec dans un rythme endiablé que les musiciens marquaient en tapant fébrilement du pied. Ces jours-là, un sentiment de bonheur envahissait tout le monde.
Où qu’on portât les yeux, il se passait quelque chose. Des hommes, des femmes marchandaient, achetaient, vendaient, discutaient, riaient, vantaient, critiquaient, se consultaient – et tout cela à propos de moutons, d’agneaux, de poulets, de coqs, d’œufs, de vaches, de cochons, de beurre, de crème, de chèvres, d’ânes.
Et que dire des vêtements qu’on y vendait : des bas allègrement rayés de jaune et de bleu, de rouge et de blanc, de jaune et de rouge, de blanc et de bleu. Et quelles jupes ! Amples, mouvantes, colorées comme les bas en bleu, jaune, rouge ou vert vif. Des fichus de lin blanc empesé, des châles si doux au toucher… Bonté divine, quelle dentelle ! le tout fait main.
C’est précisément à cette fête du village, une kermesse en l’honneur de Saint-Patrick, le patron des Irlandais, qu’il y a vingt-cinq ans, Erin a rencontré Martha et qu’il en est tombé follement amoureux. Oncle Geoffroy, le frère de Martha, l’avait répété à plusieurs reprises, en badinant, aux enfants d’Erin lors de ces fêtes : leur mère était une femme aussi jolie que finaude, elle avait pris leur père au piège.