Le logis d’Erin offrait un air de fermeté et d’agrément. Le rez-de-chaussée, en pierres brutes liées à la chaux, était surmonté d’un étage en encorbellement construit en poutres de mélèze. Des blocs de schiste chargeaient le large toit pentu et coiffant, fait d’ancelles de bois gris, grossièrement agencées. La cheminée haussait dans le ciel son corps robuste. L’étable, une cabane carrée, en madriers noircis par le temps, avait été bâtie à quelques mètres de la maison, à cause des risques d’incendie. À l’intérieur, outre la stalle de Dunky, l’âne, et le tombereau d’âne, avait été aménagé un espace pour entasser le foin mais aussi les légumes du jardin en prévision de l’hiver : sacs d’avoine, de seigle, d’haricots secs et autres denrées, tant pour la consommation humaine qu’animale. Il y avait un établi de bois écaillé avec un étau et un assortiment d’outils qu’on utilisaient sans doute pour l’entretien des instruments aratoires et tout un assortiment de reliques irremplaçables, accumulés au fils des ans, voire des générations. Contre le mur, dans le coin, une boîte de bois pleine de vieux jouets. Deux chats, parfaits chasseurs à l’affût, s’occupaient de maintenir la vermine à distance.
Martha Malone, l’épouse d’Erin, était fille de paysan, née à Finlea, un hameau voisin de Gortmagee. Au moment où se déroule cette histoire, elle se disait âgée de cinquante ans. Elle avait le teint clair et velouté. Aucune ombre, aucune poche ne venait ternir l’éclat de ses yeux bleus. De légères pattes d’oie, mais pas une seule ride qui méritait ce nom si ce n’est, peut-être, entre le nez et la bouche. Martha devait certainement se tromper, elle ne pouvait pas avoir atteint la cinquantaine.
Toujours impeccablement coiffée, ses mains blanches toujours occupées à quelques ouvrages de dames, la voix douce en toute circonstance, occupée à tout moment par le travail incessant nécessaire. Martha était une femme très ordonnée. Elle gardait sa chère maison propre en dedans comme en dehors. Le parquet luisait comme un sou neuf. Il n’était pas d’endroit de la maison qu’elle embellit d’un ouvrage de ses mains. Tapis tissés ou tressés à partir de chutes de tissus, bougies de couleur qu’elle avait appris à fabriquer avec de la cire d’abeille qu’elle parfumait d’essences naturelles. Martha aimait le beau, le propre, l’ordonné, tout autant que sa mère et sa grand’mère. Après la lessive et le repassage, elle prenait plaisir à glisser dans le linge des brins de basilic, de thym ou de lavande. Avec des morceaux de tissus, elle fabriquait de petits sachets qu’elle remplissait de pétales de rose séchées et qu’elle enfouissait au fond des tiroirs ou d’armoires. Ainsi, toute la famille avait le plaisir d’endosser des vêtements d’une discrète senteur.
Sur le grand bahut de chêne, quelques vases en porcelaine, un chandelier en étain et au-dessus du meuble, une horloge à carillon qui sonnait les heures, apportée de France et héritée de son père lors d’une escale à La Rochelle lorsqu’il était marin. La table était élégamment mise et fort colorée. À son mariage avec Erin, elle avait reçu, en cadeau de ses parents, un service de vaisselle de Limoges bleu, blanc et or. Les dimanches, avant que ne survienne la famine, elle dressait toujours les couverts sur une nappe brodée, d’un blanc immaculé qu’elle avait acquis à la naissance de Sean, son premier enfant. Les coupes en cristal dataient de son mariage et venaient aussi de France.
Erin passa son bras autour de ses épaules et la serra contre lui :
- Ne change rien à tes habitudes, Martha, cet affreux contretemps ne durera pas éternellement. Les beaux jours d’autrefois reviendront, soyons positifs et patients.