Les comportements hostiles des soldats Britanniques envers la population étaient connus dans toutes les contrées de l’Irlande et faisaient constamment l’objet de commentaires haineux sur tout ce qui représente l’Angleterre. C’est ainsi que Margaret à appris, des conversations de Robert Donohue et des employés de la ferme, que les violences contre les propriétaires terriens se multipliaient dans toute l’Irlande. Les champs étaient incendiés, les vaches abattues; le représentant d’un grand domaine près de Galway avait été victime d’une embuscade et taillé en pièce. On parlait avec angoisse, à voix basse, de la réapparition des Whiteboys[1], une bande de maraudeurs qui avaient terrifié les landlords, il y avait quelques années de cela.
Ce climat d’incertitude, de violences, de meurtres gratuits, dont elle entendait parler et vivait tous les jours, l’avait amenée à accepter et désirer fuir ce pays qui devenait chaque un peu plus invivable. Le jour même, elle parla de son projet de migrer en Amérique. Robert Donohue la prise par les épaules et la fit asseoir. Poussant un soupir de lassitude, Robert se laissa choir sur une chaise. Il s’accorda quelques secondes de répits, les mains croisées sur ses genoux, avant de parler.
- Comment te dire… ? Mon cerveau s’embrouille… je ne m’attendais pas à une telle surprise. Tu es une jeune femme efficace, intelligente et vaillante. Depuis près de deux ans, maintenant, que tu travailles à la ferme, tu es devenue indispensable. Comment vais-je pouvoir te remplacer ? D’un autre côté, la conjoncture actuelle en ce pays n’est guère reluisante. Tu es jeune, pleine d’espoirs et d’ambitions, tu mérites toute ma considération et mon appui; et à cet effet, je t’offre, en guise de reconnaissance, de payer ce voyage vers un avenir meilleur.
Saisie d’émotions, elle le regarda avec de grands yeux étonnés. Pendant un court instant elle demeura silencieuse, estomaquée. Puis, le visage se fit lumineux, les yeux étincelants de larmes, un immense sourire fleurit sur ses lèvres. Transportée par sa joie, elle lui sauta au cou et le serra si fort qu’il en eut le souffle coupé. Elle ne cessait de lui exprimer sa vive gratitude.