Gaélen ne partageait pas son parapluie, ni sa peine avec quiconque. Le vent rabattait, en rafales cinglantes sous le parapluie, une eau glacée qui ruisselait ensuite le long de son cou, mais n'en avait cure. Engourdit par la perte qu'il venait de subir, les yeux fixes, il semblait ne rien voir. Il se tenait droit, comme pour un salut, immobile, insensible, semblait ne rien comprendre.
Le glas sonna au clocher, régulier, comme il le fallait : un coup toutes les quinze secondes. Margaret avait beau essayer de réconforter sa mère d’une main affectueuse, elle devait à chaque fois presser un large mouchoir contre ses yeux, et étouffer ses propres sanglots. Elle s'avança tout près de la fosse. Elle prie. Ses lèvres remuent à peine. Elle enchaîne toutes les prières qu’elle connait. Elle en invente d’autres. Des mots sans suite où reviennent le nom de Jésus, de Marie et de tous les saints. Le nom de ses morts les plus chers, aussi. Puis, tout-à-coup, elle trouva les mots qu'elle voulait en guise de prière :
- Seigneur Jésus-Christ, Seigneur Dieu et votre Saint-Esprit, vous avez laissé tuer votre serviteur sans défense par des brigands. C'est le diable qui a triomphé hier. Nous vous supplions de le venger au nom de la foi que nous vous apportons. C'était un brave humain, il n'avait pas mérité ce sort. Amen !
Tous écoutèrent bouche bée, plusieurs l'ont approuvé en joignant leur « amen ». Elle est bien consciente que ce n’est pas là la pratique religieuse comme l’entend l’Église, mais c’est le mieux qu’elle puisse offrir. Elle n’arrive pas à croire en un Dieu qui laisse les méchants faire du mal en toute impunité contre ses ouailles les plus vulnérables. L'abbé Godefroy la prit par les épaules et l'attira contre lui, il respectait sa douleur. Il était prêtre et pardonnait la faiblesse humaine. Tant que les humains n'étaient pas anglais.
- Calme-toi, supplia-t-il, calme-toi, nous sommes là avec toi, tu pourras toujours compter sur nous. La douleur n’est pas toujours bonne conseillère. Laisses à tes sentiments le temps de s’apaiser. Rappelle-toi que la vengeance est une maîtresse exigeante et cruelle, vaut mieux s'en remettre à Dieu, aies confiance.