Nous retrouvons nos trois amis : Gaélen, Margaret et Thomas, confortablement attablé avec Brandon, un gros pichet de bière brune bien fraîche devant eux. On fit plus ample connaissance, et la bière aidant, un lien d’amitié s’était rapidement établi entre eux, chacun y allait de ses confidences.
Dans la foulée des confidences, nos amis ont appris que Thomas Flynn voulait à tout prix trouver des solutions pour sauver ses concitoyens du fléau qui s’abattait sur eux. Devant son impuissance à faire fléchir le gouverneur Aylmer, qui se montrait intransigeant à laisser entrer plus de denrées dans les marchés publics, son épouse et lui se sont mis à aider et soigner du mieux qu’ils pouvaient les malades et indigents dont le nombre s’amplifiait de jour en jour. Sans expérience médicale et avec les maigres ressources dont ils disposaient, la tâche s’avéra vite insuffisante, mais le bien qu’ils faisait à ces pauvres gens les emmena à persister, jusqu’au jour ou Éléonore, l’épouse de Thomas, a contracté le virus et en est morte dans d’horribles souffrances.
Son désarrois était beaucoup plus profond que tout ce qu’on pouvait imaginer. Outre sa femme qu’il aimait de tout son cœur, ces gens étaient ses compatriotes, ils avaient un nom, un visage… ils avaient perdu leur anonymat. C’était des hommes, des femmes, des enfants de son pays qui pouvaient être tristes ou souriants, heureux ou furieux, qui souriaient, qui plaisantaient, qui souffraient, qui mouraient… C’était des êtres humains terriblement fragiles, vulnérables, pour peu qu’ils attrapent ce minuscule virus. Il ne craignait rien pour lui-même, car il avait confiance en son bon tempérament. Il n’avait d’ailleurs ressenti aucun malaise pendant qu’autour de lui, des hommes costauds tombaient.
Ce grand Irlandais, au torse impressionnant, exigeait le respect de tous, mais il y avait en lui tant de bonté. C’était un homme impeccable, poli, respectueux de l’autorité, des convenances et de l’étiquette. Il n’avait jamais eu d’autre ambition que celle de bien servir. Il le faisait avec passion, efficacité, sans jamais détourner à son profit ce qui appartenait à autrui.
Au malheur de vivre dans un pays embrasé par la famine, les discriminations exercées par un occupant pernicieux, s’ajoutait deux autres calamités : un mari foudroyé par le décès prématuré de son épouse adorée et l’exil pour fuir.
Il a longuement parlé des véritables dirigeants du pays : ces Lords gouverneurs, un par province, disposants d’une sanction royale. Leurs intérêts et ceux de l’Angleterre avaient priorité. C’est ainsi que Gaélen apprend qu’il y a des « ILS » dans la vie. Ceux qui augmentent le prix du pain, envoient des soldats au front, commandent aux flics, donnent du travail ou envoient au chômage, ouvrent des magasins. « Ils » peuvent aussi vous envoyer en taule. « Ils » sont partout. On en parle tout le temps, mais on ne les voit jamais.