Sports d’hiver

Le Couârail (2)

 
 
 

Et, pour le facteur, le Zidôre recommença le récit de sa matinée. Le manre cheval s’arrêtait à chaque maison comme s’il faisait le ramassage des ordures. Il n’avait pas voulu traverser pour aller à la Mairie. Etc. Etc.
- Fous-le donc’ à l’abattoir. I f’ra de beaux steaks. T’as vu comme il est gras !
- T’es malade Pieuton ! D’puis l’temps que je vis avec lui.
- Tu couches avec lui (le père Galate marqua une pause pour rallumer sa Gitane maïs, puis reprit) C’est pour ça qu’ta femme dit qu’elle est malheureuse.
- Galate, manre barbouillâd, z’avez pas honte ?
- C’est presque vrai Demoiselle Agathe. Ma femme dit souvent : t’aime mieux ton bourrin que tes enfants ! Le pauvre i passe la nuit tout seul dans son écurie. Avant la guerre, y’en avait six ou sept. Mais, lui il est tout seul. Et le Maire m’a averti que l’année prochaine, on le remplacerait par un tracteur. Moi, j’veux pas de tracteur !
- Tout change (regretta notre maman).
- Le modernisme (conclut notre papa).
Profitant de l’attroupement, le Pieuton distribua le courrier. Enfin, une lettre à :
- Pour vous Fanny, c’est tout ce que j’ai. Ça vient de Dordogne.
- Comment est-elle venue ?
- L’Sotré vole ton cheval ! (clama ma sœur) Vite Zidôre !
Depuis le temps qu’il stationnait là, le Haretar en avait marre. Sans crier gare, il plantait le Zidôre dans ses péroraisons.
- Nom de Dieu ! I s’barre ton bourrin (s’écria le père Galate).
- T’inquiète, il ira pas bien loin.

 

              Notre sergent de ville remontait la rue, il traversa.
- Alôre l’Fanfan, t’as perdu ton beau vélo ? (se moqua le père Galate).
- Avec ce temps-là, j’tiens pas à m’casser jambe. Dis donc’ le Zidôre, te d’vais pas déneiger d’vant la Mairie ?
Encore une fois, le Zidôre narra ses péripéties sous l’hilarité générale.
- J’comprends mieux. La Lolotte m’a dit qu’elle t’avais vu passer en ramassant des poubelles imaginaires. J’croyais presque t’étais dev'nu sénile. Monsieur le Maire rouspète…
- Dis lui qu’il s’adresse au Haretar (rigola le Zidôre) J’vâs commencer par le Tribunal puisque le Haretar veut aller là.
- Bâ, traînes pas trop, il est capable de te mettre à pied. Bon, j’vâs m’prendre un café pour me réchauffer.
Le Fanfan salua la cantonade et retraversa en direction de sa maison.
- La cafetière est sur le fourneau. J’récupère ma lettre et j’arrive.
- Prends ton temps Fanny. De toute façon, j’reste pas longtemps.

 

              Et comme l’avait prédit le Zidôre, le cheval s’arrêta à la maison suivante. « Bon, à plus », le Zidôre le rejoignit, tapa sur la ridelle. Le Haretar reprit sa marche et ainsi de suite à chaque maison.
Le Haretar nous avait laissé choir. Depuis un moment, le Fofo s’était couché dans le couloir, il avait raisonnablement goûté aux plaisirs de la neige. Ma sœur lança une boule qui s’écrasa devant son museau posé sur le sol. Un long râle, le Fofo se leva et alla gratter à la porte de la tante. Quelques instants plus tard, lové sur « sa » chaise devant la fenêtre, il ronflait comme un bienheureux.
Que faire ? Déclencher une bataille de boules de neige ? Mais, voilà, les grandes personnes avaient bien autre chose en tête : résoudre l’énigme de cette lettre que venait de remettre notre facteur à Fanny. La lettre venait de ses parents, venait de Dordogne. Bon sang, comment avait-elle pu passée alors que toutes les routes étaient bloquées ? De tous les côtés, des files de véhicules s’agglutinaient en attendant l’arrivée du chasse-neige.
- Les seules voitures postales qui ont pu arriver, c’est celle de Vic et celle Morhange. Vot’ lettre est arrivée avec celle de Vic.
- Pieuton, tu te fous de nous ! (glapit le père Galate) Vic, c’est pas en Dordogne !
- A sept kilomètres de chez nous (renchérit notre papa) Mon œil qu’elle vient de Vic, ta lettre.
- Regardez ! Vic a apposé son cachet. J’vous mens pas ! On est sérieux aux PTT.
- Nom de Dieu ! Quèce foutait à Vic ? (s’entêtait le père Galate).
- Une erreur de triage… Elle a atterri à Vic au lieu de chez nous. Vic nous la réexpédiée ce matin par la voiture postale.
- Comment elle est passée ta voiture postale ? La côte du Calvaire est bloquée qu’on m’a dit.
Le conducteur était un fin malin. Il n’avait pas pris la route la plus directe, mais suivi la vallée de la Seille et, après Salonnes, il avait rejoint notre Nationale 74. Il avait été bloqué près d’une heure dans la côte de la Bezeraie, jusqu’à l’arrivée du chasse-neige.
- Te vois Galate, t’as beau critiquer les PTT, nous on est efficace.
Et sur ces bonnes paroles, notre homme de lettres poursuivit sa tournée. Pressée de lire sa missive, Fanny s’en retourna. La Catinète lui emboîtant le pas. Le Zidôre et son Haretar tournaient l’angle avec la rue du Beaurepaire.

 

              « On couâraye ! On couâraye ! », le nonôn Popaul montait jusque chez nous. Il nous embrassa, embrassa notre maman et la tante Agathe, serra la main à notre papa et au père Galate.
- Coment qu’c’est ? (demanda notre papa).
- J’ai été voir mon chef de service et je lui ai dis que je prenais une semaine pour aller aux sports d’hiver.
- Vous allez aux sports d’hiver ?
- Oui tante Agathe… A la Sapinète (rigola le nonôn Popaul).
- Ah ! J’croyais que vous partiez là-haut, dans les Vosges. Et mes Dommages de guerre, quand is vont v’nir ? C’est que les Mioches ont froid là-haut. Faudrait bien réparer les fissures.
- Vot’ dossier est parti à l’ONU, là-haut à New-York.
La tante resta sans voix. Elle finit par articuler :
- A New-York… A l’ONU…
- Mais non tante Agathe, je vous taquinais. On attend la décision de Mès…
- Bougre de mandrin, vous m’avez fait peur.
- Nème Milou, is z’ont la belle vie, les fonctionnaires (railla le père Galate) Nom de Dieu ! Pas comme nous autres pauvres ouvriers.
- Tu parles ! (s’esclaffa le nonôn) Vous faites une fenêtre de temps en temps, un petit parquet par-là. Et le reste du temps, vous fumez vot’ clope sur le pas de la porte… Tiens le Guézète a failli se faire écrabouiller tout à l’heure…
- C’est pâs possible (fit notre maman).
Depuis ce matin, le Guézète était sur tous les fronts. Grâce au Tintin, un garagiste, il était parti vers la côte de Delme. Une quinzaine de camions étaient bloqués. Un plus malin que les autres avait dépassé la file qui attendait le chasse-neige. Dans l’épingle à cheveux du pont du chemin de fer, le camion avait dérapé et s’était mis en travers de la chaussée. Résultat, lorsque le chasse-neige arriva, il ne put passer. Seule solution : dégager la neige à la pelle.
La fameuse épingle à cheveux du pont du chemin de fer… Tiens, tiens… « C’est le Sotré qu’a fait ça ! ». Mais les grandes personnes ne prêtèrent aucune attention aux divagations de ma sœur. C’est en tout cas ce que le nonôn devait penser, car il poursuivit son compte-rendu sans s’en préoccuper. Plus haut, sur le plateau, et selon les gendarmes, le vent avait formé des congères. Certains dépassaient les deux mètres.
- La route de Mès est pas prête de rouvrir (conclut notre papa).
- Pas mieux du côté de Moncel… J’ai vu la Sanal et les Coop, ils attendent leur camion de livraison. On leur a dit peut-être demain… ou après-demain… Et la route de Sarrebourg, même tabac. Il n’y a guère que la route de Morhange qui est praticable…
- Là, y’a pas de grande côte (acquiesça le père Galate).

 

- Alôre, Popaul. Et le Guézète ? (s’impatienta notre maman).
Le Guézète avait accompagné le Tintin dans ses divers dépannages. Il y en avait eu des dérapages, des glissades, des accrochages. Un festival de beûgnes en veux-tu, en voilà. Largement de quoi assurer du travail au Tintin pour de nombreux jours, même s’il partageait la tâche avec ses collègues garagistes.
Vers dix heures, le Tintin avait déposé le Guézète rue des Cigognes. De là, notre vaillant reporter était descendu vers la rue Saint-Nicolas. Il était quasiment arrivé chez lui lorsqu’une automobile qui roulait un peu trop vite dérapa, sauta le trottoir :
- Il est passé à ça (le nonôn montra trois centimètres en resserrant son pouce vers son index courbé).
L’automobile avait terminé sa course dans le muret de la vitrine de l’horloger. Bien amoché, le conducteur avait été transporté à l’hôpital.
- Faut toujours qu’is y’en aient qui fassent les cons (tonna notre papa tandis que notre maman poussait des « Oh ! » en imaginant le Guézète écrabouillé entre le muret et l’automobile).
- Nom de Dieu ! Il était aux premières loges, le Guézète (plaisanta le père Galate) Pourra nous faire un bel article dans le journal.
- Bon, Milou, Oda, j’suis v’nu pour dire que vous mangez chez la belle-mère ce midi.
- On l’a vue hier, elle nous a rien dit (s’étonna notre maman).
Le nonôn avait tout manigancé en forçant quelque peu la main à la belle-mère. Toujours est-il que ce midi, nous mangerions chez la mémère. Sitôt après, nos parents, le nonôn et la tatâ Nénète s’envoleraient pour la Sapinète.
- Vous êtes prête tante Agathe ? (plaisanta le nonôn).
- Le temps que je prenne mes skis et j’arrive. Vous emmenez les Mioches avec ?
- Mes grands n’ont pas été à l’école aujourd’hui, ils les surveilleront. C’est nos vacances tante Agathe. On se débarrasse des Mioches ! (rigola de plus belle le nonôn Popaul).
- Nom de Dieu ! Vous avez bien raison d’en profiter (approuva le père Galate) passqu’ quand on est vieux, c’est trop tard.
Avant de partir, notre maman prépara le repas de la tante. Le Fofo lui tiendrait compagnie.

 

Le père Galate nous quitta à la hauteur de son atelier :
- Voulez l’apéro ?
- Non, non, père Galate (refusa le nonôn) Déjà que la belle-mère voulait pas nous faire à manger. Alors, si on arrive en retard…
Une dizaine de mètres plus loin :
- C’est comme ça qu’vous bossez !
- Bâ alôre, le Milou ! Te crois qu’on va risquer not’ peau pour le Mièsse ? D’toutes façons, personne n’est parti, personne n’est entré. Et d’main, on verra.
Serrage de mains, sauf de la part du Mimil’ qui embrassa notre maman, ma sœur et moi. Igor, lui, nous tapota la tête. Les grandes personnes se lancèrent dans un couârail sans fin.
- Et la Mimie ? (demanda notre maman).
- Ça va (répondit le Mimil’) Je l’ai emmené ce matin avec le camion. Ça fait une trotte pour aller aux Cités
- Ah ! On était mieux quand on était au Tribunal (affirma notre maman comme si elle travaillait encore à l’Enregistrement).
Et la neige tomba sur le tapis, tu me diras : c’était d’actualité. Un monsieur que nous ne connaissions pas était tombé en se rendant à son travail.
- Mais, si ! Le grand qui est à la Sécurité Sociale. Il habite vers les Bolinjé. Quand, tu le vois en ville, t’as toujours l’impression qu’il a un train à prendre tellement il marche vite.
A force d’explications, nos parents et le nonôn Popaul comprirent de qui le Mimil’ parlait.
- Il s’â cassé une jambe. On l’a emmené à l’hôpital. Parait qu’il a fait un sâpré vol-plané… T’rappelles Oda de quand on était petit ?
- J’ai jamais cassé de jambe.
- Non, non. J’voulais parler de quand on montait là-haut…
Les gosses du quartier se retrouvaient un peu au-dessus de la Suisse des Morts, puis dévalaient la pente à toute vitesse. Ils ne s’arrêtaient qu’à la hauteur de la statue de la Vierge.
- On s’en ait payé ! (exulta notre maman en affichant un large sourire).
Ils couârayaient sous la fenêtre de la Mélie. Fenêtre qui s’ouvrit :
- R’garde-moi ça. Vinrats ! Ils peuvent pas aller travailler à cause de la neige et ils pérorent dans la rue. C’est pas comme ça que vous allez relever la France. Cht’en foutrai, moi !
- Et c’est une retraitée qui nous fait la leçon !
- Dis-donc’ le Milou, c’est toi que vient faire mon ménage ou ma cuisine ? Bon, Igor, si t’veux manger, t’ramènes ton cul par ici.
Manger ! Le maître mot dispersa le couârail. Il était grand temps d’aller chez la mémère. Juste au moment où nous franchissions la porte de la Sous-préfecture, le pépère sortait de son bureau. Nous montâmes ensembles et eûmes droit au chaleureux accueil de la Mahon, suivi de celui de nos cousines et cousins.

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Le Couârail (3)
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Date de dernière mise à jour : 25/03/2025

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