Le patron du Claudi sortit de sa quincaillerie et relança le couârail. Il allait avoir un nouveau voisin. Des gens de Nancy. La femme allait ouvrir une bonneterie. Le mari était musicien, il jouait dans l’orchestre de radio Lorraine-Champagne. Nous commencions à en avoir marre :
- Bon, on y va ! (grogna ma sœur).
- Minute papillon (lui rétorqua notre maman) Les chaussures vont pas s’envoler.
Elle expliqua au quincailler pourquoi ses enfants, enfin surtout sa fille, voulaient aller chez les Schuh.
- Oda, tes Mioches vont te faire tourner en bourrique (rigola le Claudi).
- M’en parle pas.
Elle exposa de long en large tous les bruits qui couraient sur l’événement du jour. Le quincailler confirma les dires du Claudi : le cycliste renversé l’avait bien été là, juste à l’angle devant chez le dentiste, par une automobile conduite par un homme de Sotzeling qui se rendait à la Lorraine Agricole. Non, l’automobiliste n’avait pas pris la fuite puisque c’était lui qui avait transporté le cycliste blessé à l’hôpital.
- Si te veux, j’dépose tes sacs chez toi. J’les mettrais chez la tante Agathe.
- Oh, j’veux bien. Ça commence à faire lourd. Attends, j’récupère ma boîte… Faut encore que j’passe chez la Dédée.
- Ça arrive souvent (rigola le Claudi en voyant notre maman enfourner la boîte dans son filet) J’vâs plus chez la Dédée, j’préfère aller au Spar. Au moins là, j’ai pas d’invités surprises… Et y’a plusse de choix. Pour le pain, j’vâs chez les Bolinjé. L’ pain noir ça me dégoûte.
- Elle en fait p’us depuis l’année dernière. Le Milou est pareil qu’toi…
Lorsque nos parents étaient fiancés, notre papa qui n’aimait pas ce pain noir, avait dit : « La s’maine prochaine, j’vous ramène du pain blanc. Vous verrez qu’c’est du bon pain. Pas comme le vôtre ». Ses futurs beaux-parents avaient eu beau protester qu’ils connaissaient le pain blanc lorsqu’ils étaient à Albi et qu’ils préféraient le pain de chez eux, notre papa venait chaque fois avec son « bon pain ».