La Bibliothèque do Dan

La Descente

Le Couârail (8)

 
 
 

Elle sursauta, on venait de toquer au carreau. Elle ouvrit la fenêtre.
- J’vous ai réveillé Demoiselle Agathe.
- J’ne dormais point (mentit-elle) J’reposais les yeux.
- Ça vient d’Albi, c’est pour l’Oda (dit l’homme de lettres).
- Ousqu’elle travaillait pendant l’exil. Quelles nouvelles à par ça ?
- On a volé un vélo hier soir, vers six heures comme ça. J’ne sais pas à qui, j’ne sais pas où.
- C’est point à moi et point ici.
- J’me doute Demoiselle Agathe.
- Dites tout de suite que j’es trop impotente pour avoir un vélo.
- Oooo… Demoiselle Agathe. J’me permettrais pas.

 

Un quart d’heure plus tard, madame Zeitung pointait son nez. Cette fois, la tante ne se laissa pas surprendre, elle ouvrit la fenêtre avant.
- Des nouvelles toutes fraîches.
- Le vol du vélo est déjà d’dans ? (plaisanta-t-elle en prenant le journal).
- Pas encore Demoiselle Agathe. Sûrement dans çui de d’main. Oui, z’avez vu ça : voler un vélo en plein jour.
- Ça s’est passé ousque ?
- Bâ, chez le Jano. Un vélo tout neuf qu’on venait de lui livrer. Il l’avait mis juste devant sa vitrine (Le Jano vendait des bicyclettes, des véloSolex, des tronçonneuses, et cette nouvelleté qu’étaient les bêches mécaniques qu’on appelait motoculteurs… Il les vendait et les réparait. C’était chez lui que notre papa avait acheté son vélo d’occasion) Les gens ont p’us d’morale (reprit madame Zeitung) On aurait pas vu ça dans l’temps.
- Allez, dans l’temps y’avait des vols. Croyez-moi.
- Moins, moins, Demoiselle Agathe. Depuis la guerre, la tête des gens est chamboulée.
A écouter madame Zeitung, on aurait pu croire qu’il y avait des vols tous les jours.

 

Peut-être vingt minutes après le départ de la porteuse de journaux, la clenche s’énerva, s’excita, hasia… La porte finit par s’ouvrir.
- Vous v’là les Mioches. Vous avez pris vot’ p’tit déjeuner ?
- C’est fait (répondit ma sœur tandis que je hochais la tête pour dire oui) B’jour tante Agathe.
- B’jour tante Agathe. T’as bien dormi ? (Embrassades).
- Oui le Dabo, j’âs bien dormi. Et toi ?
- Moi aussi.
Le Fofo tournoya autour de la tante jusqu’à temps qu’elle le caresse. Ensuite, elle entreprit la distribution des bonbons, un à chacun. Puis, elle tira les chaises vers la fenêtre et l’on s’installa au poste d’observation. La fenêtre était au large ouverte puisqu’il faisait bon.
- .. lis… lett…
- Si tu parles avec ton bonbon dans la bouche, je vais rien entendre. Déjà que j’suis un peu sourde.
Ma sœur enleva son bonbon. Tenu par son pouce et son index…
- J’te disais… (pour mieux étayer son propos, elle fit un moulinet avec sa main) Voleur !
Voyant le bonbon s’agiter sous son museau, le Fofo avait imaginé qu’il avait droit à un supplément de friandise.
- Il est plus rapide que toi. Reprends-en un. Quèce tu disais ? Laisse-le (rigola la tante) Le cornet est sur la table. Prends-en un autre.
- Là, j’fais gaffe. T’as vu tante Agathe. Paf ! d’un coup il me l’a piqué. Et toi, arrête de rigoler (ma sœur me fila un coup sur l’épaule) Tante Agathe, lis une lettre du Karl.
- Vous descendez au marché tout à l’heure.
- Ah oui, on est jeudi, nème tante Agathe ? (la tante approuva) J’me rappelais p’us. Je vais faire la marchande.
- C’est moi que vâs faire.
- T’es trop piat ! T’sauras pas.
- Si, je sauras !
- Comme ça tu apprendras au Dabo à faire le marchand (la tante trouvait toujours une solution).
- J’aime mieux faire la marchande.
- Bâ, t’verras, c’est encore mieux d’apprendre aux autres ce qu’on connaît. Tu s’ras comme une maîtresse d’école.

 

On toqua, la porte s’ouvrit, entra notre maman. La tante l’avait déjà vue puisque chaque matin, elle l’aidait à se lever et préparait son petit-déjeuner.
- On y va, les Mioches ? Rien de spécial, tante Agathe ?
- Comme d’habitude… Des courgettes s’y a… Bâ, des cerises, j’ai envie de cerises. S’il y’a de belles cerises.
- Mon père m’a dit qu’il en ramènerait ce soir.
- Ah ! J’préfère les cerises de mon neveu (se régala-t-elle à l’avance) Elles sont bien meilleures. Sinon ce que vous voulez, j’ne suis pas difficile.
- J’prendrais du Melfor. L’aut’ jour, j’ai vu que vous n’en aviez presque plus.
- Prenez aussi des pâtes. J’préfère les knèpes, mais j’arrive p’us à les faire.
- J’aime pas les knèpes (grimaça notre maman).
- Les jeunes s’embêtent p’us à faire ça… Y’a une lett’ pour vous. Et le journal.
- J’verrais ça au retour.

 

La majorité des gens la critiquait. Les autres, au mieux, la plaignaient avec condescendance. Pourtant cela faisait plus de quinze ans que madame Irène vivait dans cette petite ville. Elle avait même partagé avec eux la période de l’exil. Ses enfants fréquentaient l’école et avaient même quelques copains et copines. Mais, voilà, elle n’était pas de chez eux. Bien qu’originaire d’ici, son mari n’était qu’un voyou notoire. Chaque jeudi, madame Irène faisait son marché et en revenait tôt. Ainsi, elle croisait le minimum de gens. Elle salua la vieille femme qui était à sa fenêtre :
- Bonjour Demoiselle Agathe (Juste à ce moment sortait) Bonjour madame Chlodère.
- Bonjour madame Irène.
Notre maman plaignait cette pauvre dame. Pense-voir, son mari l’avait plaqué, elle et ses cinq enfants. On racontait qu’il était parti là-bas aux Colonies. En fait, personne n’en savait rien. Et la plupart, plaignait cette femme d’une quarantaine d’années qui, pourtant, était encore « pas mal pour son âge » gloussait le père Galate après avoir déversé un tombereau de propos salaces. Les plus sensés, sans doute pour s’excuser, disait qu’elle éduquait bien ses enfants, qu’ils étaient toujours impeccables et bien polis.
Pour notre papa, qui connaissait l’homme de réputation, c’était ce qu’il pouvait arriver de mieux à cette dame. Selon lui, l’homme fréquentait des voyous à Nancy. Certains de chez nous se souvenaient que lors de l’exil, il avait fait des choses pas bien nettes : c’était le roi du marché noir. Il a le mal dans le sang, rajoutaient d’autres qui, pourtant, étaient passés par lui pour se ravitailler.

 

Bref, madame Irène, notre maman et la tante Agathe couâroyaient. Madame Irène était toute contente parce que son aînée marchait bien. Elle espérait même qu’elle pourrait partir au lycée à Metz pour passer son bac. Et son deuxième, un garçon, allait entrer au Lycée agricole de notre ville en septembre prochain. Tout cela coûtait bien cher, heureusement :
- Vous savez Madame Chlodère, mes beaux-parents ne m’ont pas oubliée. Ils paient tout (madame Irène marqua une pause et reprit) Mes parents m’aident aussi.
- Vous avez des nouvelles de… (comme si le prénom du mari voyou était un gros mot, notre maman ne voulait pas le prononcer).
- D’après ses anciens copains d’Nânci, il a tenu un bar à Marseille. Et puis, il est parti pour l’Afrique. J’me rappelle p’us où… J’me demande ce qu’il peut mamayer là-bas… Si ça se trouve, ils l’ont foutu au bagne.
- Dites voir, madame Irène (intervint la tante Agathe) quèce qu’is disent au marché du vol du vélo ?
- On ne parle que de ça. Pensez voir, voler le vélo du sergent de ville…
- Le vélo du Fanfan, c’est pas vrai ! (s’effara notre maman).
- C’est pas un neuf vélo qu’a été volé ? (s’étonna la tante Agathe).
Certaines et certains disaient que c’étaient le vélo du sergent de ville, d’autres prétendaient que c’était un vélo neuf… En réalité madame Irène n’était sûre de rien.

 
 
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La suite :

Le Couârail (9)
La Descente

 

Date de dernière mise à jour : 25/03/2025

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