La Bibliothèque do Dan

L’apéro

Le Couârail (6)

 

Le Fanfan vint à passer. Il salua l’assemblée d’un signe de la main. Un peu déséquilibré, il slaloma vers sa maison au moment où arrivait une automobile. Le Fanfan eut droit à un long coup de klaxon.
- Va s’faire foutre en l’air un de ces quatre (commenta notre papa).
- Et son vieux biclou s’ra ratatiné (se boyauta le père Galate).
- Il roule n’importe comment (renchérit notre maman)
- Un sergent de ville doit montrer l’exemple (tonna la Mimie) En parlant d’accident, le Tintin a encore fait des siennes…
Mercredi dernier, le Tintin partait en dépannage. Sur la route de Hampont, une automobile avait freiné pour emprunter un chemin de terre.
- Il roule comme un timbré. Ça m’étonne qu’à moitié (tonna le père Galate).
- D’après ce qu’on nous a dit (reprit la Mimie) il a freiné. Mais ça suffisait pas, il a tiré son frein à main. Résultat, il a dérapé et s’est encastré dans une borne. La dépanneuse est frâlée. Mais, lui n’a rien.
- Nom de Dieu ! Avec son œil abîmé…
- Il voit normalement (rectifia notre papa) Il voit tellement bien que l’autre jour, il a ramassé un billet de 500 F sur le trottoir près de chez lui.
- Y’a cas se baisser pour trouver de l’argent. Nom de Dieu ! Dommage que c’est pas arrivé à moi.
- Oh, père Galate, le Tintin l’a pas gardé les 500 F. Il les a remis à la Mairie et le Fanfan a retrouvé l’homme qui les avait perdus.
- Nom de Dieu ! Moi j’les aurai gardée les 500 balles.
- Vous z’êtes pas honnête père Galate (avança la Mimie).
- Pour le remercier (compléta notre papa) l’homme lui a donné 50 F.
- Tu dis qu’il voit normalement, j’veux bien. Nom de Dieu ! T’as vu comment il est épais son verre.
- Galate, vous êtes une langue de vipère.
- Oh demoiselle Agathe, c’est tout juste si ses lunettes partent pas de travers tellement le verre est lourd.

 

Tandis que moi et le Fofo savourions les friandises, les grandes personnes poursuivaient leur couârail. Elles en étaient à évoquer le temps ancien. Enfin, pas si ancien que ça puisque ça ne remontait qu’un peu avant la naissance de la Mikète.
- T’rappelle Mimie : Mon service n’est pas une pouponnière (fit notre maman en imitant l’accent hachepaille) Et ce salopard m’a foutu à la porte de l’Enregistrement.
- Il a pas changé. Toujours égal à lui-même. A te donner des ordres sèchement. A faire des réprimandes pour un oui, pour un non. Mais, j’suis titularisée. Il pourra pas me foute à la porte (fit-elle en se passant la main sur le ventre).
- T’es enceinte ? (s’écria notre papa).
La Mimie pouffa tandis que notre maman pavoisait :
- Moi, j’savais.
- Pourquoi t’savais et pas moi ? Et le Mimil’ qu’m’a rien dit l’aut’ jour quand j’l’ai vu !
- On t’fais marcher, Milou (s’esclaffa la Mimie) On en est sûre que depuis avant-hier. Vous êtes les premiers à qui j’l’annonce, à part mes parents et mes beaux-parents, évidemment. Oh Oda ! J’imagine sa tête. Ça, j’vâs en entendre des litanies.
- Quand j’le vois en ville (fit notre maman) Je marche droit comme une pique et je fais semblant de pas le connaître. Il dit « bonjour », je réponds jamais.
- Nom de Dieu ! C’est bien un Alsacien ! Arschlock ! (railla le père Galate).
- Simplement, un patron. Enfin, un chef (souffla notre papa).
- T’sais, à par de travail, on se cause jamais. On est notre petit groupe : la Domi et le Claude… T’sais Oda, le jeune de Pettoncourt.
- Ah, c’était le bon temps.
Et elles pouffèrent comme des folles. La tante Agathe prit un air rêveur :
- Moi, j’aimais bien quand l’Enregistrement était au Tribunal, j’vous voyais passer, on discutait un peu… Ça faisait une distraction. Vous aviez tel’ment l’air d’être heureuses toutes les trois. Maintenant qu’vous êtes aux Cités allemandes…
- J’me souviens d’une fois. Il flottait comme vache qui pisse. Vous étiez serrées sous un tout petit parapluie. Vous étiez trempées et n’arrêtiez pas de rire (ses petits yeux bruns s’animèrent d’une lueur maligne) Nom de Dieu l’Oda ! T’as des yeux à faire sauter les boutons d’brayâtes.
Le père Galate pouffa, notre papa fit semblant d’être outré :
- Bâ, alôre, père Galate, tu reluques les jeunes femmes !
- Nème Igor, c’est pas pasqu’on est vieux qu’on regarde pas la jeunesse.
- Dis pas ça Galate, la Mélie me collerait un coup de bâton si elle t’entendait.
Et tout le monde s’esclaffa.

 

- Le Galate, c’est un vaurien ! (la tante secoua la tête pour donner plus de solennité à son propos).
- Comment ça, Demoiselle Agathe ? (le père Galate trifouillait la fermeture éclair de sa cotte).
- Et le Sous-préfet, l’avez oublié ?
Il souleva sa casquette, poussa un « Oooh… ». Cette histoire remontait bien avant la guerre, notre maman et la Mimie étaient bien gamines. Le Sous-préfet de l’époque lui avait commandé un lit, « un bien beau lit » accentua le père Galate. De Metz, il avait fait venir sommier et matelas. « Est-il douillet et confortable ? » que lui demanda la femme du Sous-préfet :
- J’lui réponds comme ça : Si on l’essaie pas, on saura jamais (Notre papa riait tant qu’il pouvait) T’aurais pas fait ça, Milou ? (Notre papa répondit par un « oui » noyé par le fou rire. A cette époque, le père Galate avait dans la trentaine et la femme du Sous-préfet dans la cinquantaine) C’était une belle femme pour son âge. V’là qu’elle se déshabille, j’en fais autant…
- Et crac ! Tu t’es fait la Sous-préfète (rigola notre papa).
- Tous les deux à poils, prêts à se vautrer dans le lit… Nom de Dieu ! La porte s’ouvre d’un coup. Le Sous-préfet…
- Qu’est-ce a dit ?
- Il gueulait comme un putois… Moi, j’me suis rhabillé en vitesse et j’me suis carapater. T’vois la cour entre l’hôtel du Sous-préfet et la Sous-préfecture, nème Oda ? (Notre maman approuva d’un hochement de tête) J’étais à peu près au milieu… Pan ! (beugla-t-il en mimant comme s’il tirait au fusil).
- I t’a tiré d’ssus ?
- Non, non, Milou. Il a tiré en l’air. Heureusement pour moi ! Mais, c’t’histoire a fait scandale. Le Sous-préfet a prétendu que j’avais volé l’argenterie. J’ai même eu les gendarmes chez moi. Comme is z’ont rien trouvé et qu’is connaissaient ma réputation, is z’ont compris de quoi il en retournait. Même pas trois mois plus tard, le Sous-préfet était muté et j’crois qu’il a divorcé dans la foulée.
- Ça calme ! (rigola notre papa).
- Pensez-vous, Milou (railla la tante) Ça l’a pas empêché de continuer à raouer et à chnailler partout.
- Et vot’ femme ? (s’inquiéta notre maman) Moi, j’vous aurais chassé à coups d’balai et j’aurai demandé le divorce.
- Moi, aussi ! (fit la Mimie en bougonnant).
- Pas elle ! Elle est tellement cul-béni.
- Vous exagérez tout le temps.
- Non, Demoiselle Agathe. Vous la voyiez là, avec sa canne qui arrive pas à marcher. Elle s’plaint qu’elle a mal à la jambe, qu’elle a mal au dos… Mais, le dimanche, elle a pas mal pour courir faire ses bondieuseries à l’église. Les culs-bénis, ça divorce pas.
- Vinrats ! Encore en train de déblatérer sur ta femme, Galate !
- Oh ! Mélie, t’m’as fais peur. J’t’avais point vu arriver.
Comme chaque jour ou presque elle redescendait de la Suisse des Morts. De son cabas dépassaient le manche d’un petit hake et celui d’une aussi petite pelle.
- C’est une sainte, ta femme. Supporter un galvaudeux comme toi. Vinrats d’vinrats ! Y’a longtemps que j’t’aurai foutu à la porte. Pas vrai tante Agathe ? (d’un revers de main, la Mélie essuya la sueur qui perlait son front).
- T’as tes chaurrées ? (ricana le père Galate).
- T’sauras qu’y a bien longtemps que je suis pu sur le retour.

 
 
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La suite :

Le Couârail (7) L’apéro

 

Date de dernière mise à jour : 25/03/2025

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