La Bibliothèque do Dan

Spartakus

 

Franz arpentait le quai. Dès leur descente des cars, les gens se regroupaient par famille. Dans leurs yeux, Franz devinait leur satisfaction, même un certain orgueil. Il s’arrêta auprès d’un couple et de leurs six enfants, s’assura que tout allait bien. « Bon voyage » leur souhaita-t-il en Français. Le couple lui répondit en riant : « Merci Capitaine ». Franz n’aurait pu dire si le couple, comme nombre de gens rencontrés, se moquait de lui ou pas. En tout cas, ces gens qui avaient rentré la tête dans les épaules durant ces cinq mois reprenaient confiance en eux et tenaient à le montrer.
Franz se dirigea vers la file d’hommes qui patientaient. Un à un, comme un rituel religieux, ils avançaient jusqu’au cercle formé surtout par des gamins. Les enfants se réjouissaient du spectacle et encourageaient leurs aînés.
En face de la file, un homme insultait chaque participant : « Race de chiens ! Vous ne la méritiez pas ! Nous ne voulons plus de vous chez nous ! ». Cet homme qui vociférait n’était pas de la Gestapo, eux se tenaient un peu à l’écart et surveillaient l’opération. Ce n’était pas non plus un ces SS qui étaient descendus de Metz pour organiser l’opération. Encore moins un des soldats qu’il avait sous son commandement. Non, cet homme là était l’un d’entre eux.
C’était même le collègue de Mr Henry.
Justement Mr Henry arrivait…

 

Mr Henry était du même âge que Franz. Ils avaient fait la guerre de 14-18 dans le même camp. Mr Henry était sur le front russe, entre Pologne et Ukraine. Franz l’avait fait dans cette ville.
- Alors Mr Henry, c’est fait ?
- J’ai fait mon devoir (répondit-il simplement).
- Vous avez fait plus de choses pour l’Allemagne que ceux-là ! (dit Franz en désignant les gens de la Gestapo et les SS) Et encore plus que votre collègue qui se prend pour le Führer… Votre Croix de fer, votre Eisernes Kreuz était méritée.
- Probablement… Pour nous, c’est notre façon de montrer qu’on ne veut pas redevenir Allemands, qu’on ne veut pas de Hitler, qu’on ne veut plus des médailles allemandes.
- Dommage que vous partiez Mr Henry, j’aimais bien discuter avec vous. Et j’aimais bien, dans l’escalier, croiser vos filles. Elles faisaient exprès de parler fort et en Français…
Franz ne se contentait pas seulement de se réjouir en croisant les filles de Mr Henry (Mr Henry et sa famille habitaient au dernier étage de la Sous-préfecture), Franz leur murmurait parfois, lorsqu’il n’y avait personne d’autre dans l’escalier : « Allemands pas bon ! Allemands méchants hommes ». Cela faisait rire la petite…

 

- Vous devriez faire attention à ce que vous dîtes Mr Franz. Et vous devriez parler en Allemand. Vous allez finir par avoir des ennuis.
- C’est ma façon à moi de résister, Mr Henry. C’est bien peu de choses, mais ça me fait du bien au cœur. Vous savez, je dois même me méfier de mes propres enfants… Et même dans la Wehrmacht, on a des Nazis… Quel dommage que vous partiez…
Depuis quelques semaines Franz s’était évertué à convaincre Mr Henry et d’autres à rester en Lorraine : « Plus il y aura d’Allemands contre Hitler, mieux cela sera ». Franz avait échoué. Aujourd’hui presque toute la ville prenait le chemin de l’exil.
Franz avait échoué comme il avait échoué en novembre 1918 entre le 11 et le 17. A cette époque, les soldats allemands s’étaient rebellés. Ils parlaient même de fusiller leurs propres généraux. Jeune lieutenant à l’époque, Franz avait organisé le Comité chargé du ravitaillement de la ville. Il s’était dépensé sans compter pour approvisionner les habitants et pour les convaincre de rejoindre la Révolution. Mais, voilà, les Lorrains ne les avaient pas suivis, ils voulaient redevenir Français et se fichaient pas mal de la Révolution…
- Je souhaite que cette guerre se termine comme l’autre. Que l’Allemagne perde ! Et, qu’enfin, on construise une société plus juste sur les ruines des capitalistes français et allemands (Mr Henry souleva les épaules) La République Soviétique et Socialiste d’Alsace-Lorraine (rêva Franz en levant les yeux au ciel) Elle n’a pas duré une semaine en 1918. Celle qui viendra bientôt durera toujours… Lorsque vous êtes rentré chez vous en 1919, je n’étais pas là pour vous accueillir. Cette fois, bientôt, Mr Henry je vous accueillerais à votre retour avec le Drapeau rouge des ouvriers.
Mr Henry souleva une nouvelle fois les épaules.

 

Lorsque Mr Henry revint chez lui plus de quatre plus tard, Franz n’était pas là pour l’accueillir. Bien plus tard, dans les années 60, Mr Henry apprit que Franz avait été arrêté ce jour-là. Quelqu’un l’avait dénoncé comme « communiste ». Il était mort en déportation sans connaître le Socialisme.

 
 
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Le Peût’ôme

Date de dernière mise à jour : 15/05/2025

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