Ce n’était pas le tout, fallait le monter, ce gros carton qui paraissait bien lourd. En face, arriva le car des Rapides de Lorraine en provenance de Nancy. Il s’arrêta à notre hauteur. « Je comprends pourquoi t’es pas dans mon car », cria le chauffeur par sa fenêtre. Les samedis, comme il ne travaillait que le matin, notre papa avait coutume de revenir en car au lieu d’attendre 18 h pour la Micheline.
- Je t’ai attendu 2, 3 minutes à Essey. T’es rentré à quelle heure hier ?
- Passées neuf heures. L’Oda et les Mioches étaient aux cent coups.
Notre papa traversa la rue. Moitié dans le coffre, moitié dans le vide, le pauvre nonôn Popaul s’évertuait à maintenir en équilibre le gros carton. Ma sœur et moi, nous précipitâmes, en criant :
- L’Sotré va casser la caisse ! L’Sotré va casser la caisse !
- Filez de là ! (rugit notre maman) Si ça tombe, vous allez être écrasés. Milou ! Milou !
- J’arrive… C’était pas beau, j’te jure. Broyée la vache. Ils ont dû la découper pour la dégager de dessous.
- Ça m’est arrivé une fois. Paf, dans un virage, une vache au milieu de la route. J’roulais pas vite, heureusement. Et pis, un car c’est moins lourd, ça freine plus facilement.
- L’autorail était trop amoché. On a dû attendre un train de secours… Deux heures de retard quand même ! Et le mois dernier, une heure passqu’il y avait trop de vent…
- Milou ! (cria une nouvelle fois notre maman).
Heureusement, le chauffeur lui dit qu’il y avait péril en la demeure. Aussi sec, notre papa revint à grands pas. Le chauffeur redémarra en lançant :
- Va pas la casser avant d’en avoir profité.