La Cacate

Le Couârail (17)

 
 
 

Enfin, notre maman se décida à clencher la porte. La petite sonnette annonça notre entrée. La bonne odeur de pain frais chatouilla les narines. Impossible de dire qui arriva le premier. Toujours est-il que nous étions agrippés au comptoir en bois, les yeux fichés dans l’un des bocaux en verre. La Dédée sortit de sa cuisine :
- Bonjour Oda. Ça va les Mioches ?
La Dédée posa la main sur le couvercle rouge. Le bocal que nous convoitions allait s’ouvrir. Vite ! Cette célibataire convaincue, une grande maigre, était une copine de notre grand-mère. Depuis toute petite, notre maman achetait son pain ici. De toute façon, c’était la boulangerie la plus proche. Elle était si à main avec la Dédée qu’elle n’hésitait pas, lorsque le magasin était fermé, à toquer à la porte du couloir.
- Et ça lui fait quel âge au Dabo ? (demanda la Dédée au lieu de dévisser ce vinrats de couvercle).
- Deux ans et demi. Et la Mikète en a eu cinq au début de l’année.
- Cinq ans ! T’es une grande maint’nant.
- J’en ai encore trouvé (fit notre maman en sortant la boîte de son filet. La Dédée délaissa le couvercle du bocal pour ouvrir celui de la boîte. Une bonne odeur supplanta celle du pain. La Dédée déplia le papier, lâcha un « Pouah ») C’est çui que je t’ai acheté hier.
- Dommage qu’la pêche soit fermée. C’est ton Milou qu’aurait été content… Et pourtant leur Munstère est succulent.
- Ça, il est bon. Même très bon. Mais, y’a des asticots.
- Oui, les asticots (déplora la Dédée) Le représentant m’a dit que j’devrais acheter une vitrine réfrigérée. C’est cher. Et la tante Agathe, coment qu’c’est ?
- Elle a du mal à marcher. 87 ans. Quand même, c’est beau. Tu m’donneras un paquet de pâtes et un Melfor pour elle.
- Ah ! Faudrait pas devenir vieux (Comme d’habitude, notre maman obtint un Munster en remplacement) On dira ce qu’on voudra, des Munstères qu’viennent pas d’la cave, sont pas des Munstères. Nème ! (Enfin, la Dédée ouvrit son satané bocal) Un réglisse, les Mioches ?
- Oui, Dédée. Merci, Dédée.

 

Notre maman commanda deux litres de vin de la Graffe, un bocal de Raifort et deux pains.
- Tu prends du Raifort, maint’nant ?
- C’est pour le Milou… Pour moi, c’est trop fort. J’aime pas (répondit-elle en grimaçant).
Et elles se remirent à discuter de tout et de rien. Elles pouvaient bien couârailler. Nous déroulions le long ruban de réglisse. Nous commencions par croquer la petite boule rouge. Quoique quelque chose nous intrigua. La femme du n. s’était crêpée le chignon avec la femme du v. Dans le magasin même... A entendre les grandes personnes, je puis t’assurer que c'était bien grave.
- C’est qui la femme du n. ? (demanda ma sœur).
- T’as pas nécessaire de savoir ! (rétorqua notre maman).
La Dédée débita une phrase en allemand. Notre maman écarquilla tellement les yeux que la Dédée se souvint que les « jeunes » ignoraient cette langue, elle reprit :
- La chnâille ! Si tu préfères.
- Tu m’en diras tant... La Mélie et le père Mohhat m’en ont parlée.
A ce moment là, le Coco remontait de son fournil :
- Les cacates sont en action ! Toujours quelque chose à reprocher aux voisins…
- Je racontais à l’Oda, l’histoire avec... (Son regard se dirigea vers la place).
- Un veau bien abreuvé a pas besoin d’aller téter aut’ part. Pas vrai, Oda ! (Un hochement de tête en convint. Sa clope au bec, le Coco poursuivit) J’aime pas cette femme. Elle passe sur votre nez sans vous dire bonjour.
- C’est un fier museau (approuva sa sœur).
- C’est tout juste si on a pas été obligés de les séparer. Et après ça, elles vont parader en ville.

 

Et notre maman évoqua le sort du pauvre Bernard.
- La Marie, c’est la croqueuse de sexe (se boyauta le Coco).
- C’est ce que m’a dit la Mélie.
- Pour une fois, je lui donne pas tort (approuva le Coco) Si ça se trouve, c’est pas le premier à qui ça arrive.
- J’me demande ce que faisait ce jeune avec une vieille comme la Marie (critiqua la Dédée).
- Résultat, le v’là qui repart chez lui. J’sais pas si reviendra. Va sans doute chercher une place ailleurs. Il attend son car (rajouta notre maman).
- Y’a pas d’car direct pour Nomeny, il me semble. Faut passer par Nânci et changer de car. En tout cas (reprit le Coco) la Marie viendra p’us nous seriner avec son n’veu qu’est écrivain à l’administration.
- Ecrivain à l’administration ? (s’étonna notre maman).
- C’est ce qu’elle racontait. En fait, c’est un simple gratte-papier (railla le Coco).

 

Voilà-t-il pas que ce brave homme qui raillait si bien sa sœur et notre maman se mit à déblatérer, et à déblatérer. Evidemment, il donna son avis sur le vélo du Fanfan dérobé chez le Jano :
- Bizarre cette histoire de vélo qu’on retrouve devant chez les Schuh.
- Le Fanfan m’a dit que c’était une plaisanterie (avança notre maman).
- Une plaisanterie… Une plaisanterie… J’pense plutôt qu’le Fanfan perd la boule. Pour moi, il a été porté un papier chez les Schuh et, en repartant, il a oublié son vélo d’vant chez eux.
- Oooh (fit notre maman).
- Taratata. L’autre jour, il nous a bien amené un papier d’la Mairie, alors que c’était pour les Bolinjé.
- Oh Coco, te vois le mal partout (protesta sa sœur).
Le Coco était intarissable, encore pire que sa sœur et notre maman réunies. Lorsqu’il ouvrait la bouche, la clope restait collée à sa lèvre supérieure. Cela faisait comme si elle dansait au rythme de ses diatribes. Et vas-y que je critique les uns ou les autres. Et les gens n’avaient plus de morale, « c’est p’us comme dans l’temps ». A chaque sentence, il tapait sur le comptoir avec le plat de sa main. A chaque fois, ou presque, la cendre tombait. La clope, elle-même, finit par s’échapper et chuta sur le comptoir. D’un revers de main, il l’envoya sur le sol sans prendre soin de l’écraser.
- Une vraie cacate ! (lança ma sœur).
Tout à une fin, nous reprîmes notre cheminement…

 

La suite :

La Louise Schuh
Vieilles haines. Vieilles rancunes.

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La suite :

Le Peût’ôme

 

Date de dernière mise à jour : 16/05/2025

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