Ophélia se détourna un instant de Margie et de Martha. Elle eut un sursaut en voyant les yeux bleus de Gaélen rivés sur elle avec une telle intensité. Il avait une façon de la regarder qui lui donnait l’impression d’avoir été surprise nue sur une plage publique. Un vague sourire effleura ses lèvres. Sur le point de s’avouer qu’elle était troublée, elle préféra, par une esquive, négliger ses propres sentiments pour s’intéresser à ceux de l’autre. « Comme il me regarde ! Sûrement il est amoureux de moi ! Il va me le dire ! Et s’il me demandait en mariage… » Elle tâcha de changer le cours de ses réflexions et en fût incapable.
Par coquetterie, elle ôta doucement son chapeau et remit en place sous son chignon une de ses boucles brunes aux reflets cuivrés. À bord du bateau, elle ne disposait que d’une petite glace à main et maintenant, non seulement elle avait l’air d’une pauvresse, mais en plus elle apparaissait échevelée.
Elle sentait tout de même qu’il s’était opéré en elle un changement beaucoup plus profond qu’une simple question d’habillement. Elle prenait peu-à-peu conscience de se trouver en face d’un homme que personne d’autre n’avait connu. Il s’était trouvé là, tout bonnement, comme s’il avait fait irruption dans sa vie. À ce stade, toutefois, Gaélen n’était pas un quelconque étranger. Ne lui avait-il pas sauvé la vie à Limerick ? Calme, doux, intelligent, courageux, depuis qu’elle le connaissait, il avait toujours agi selon la conception qu’elle se formait d’un homme de cœur. Elle l’admirait. Sa vie se meubla soudain, s’éclaira, prit une dimension et un sens extraordinaire.
Thomas Flynn se tut, regarda Gaélen dont le regard était résolument fixé sur la jeune femme.
- Que diriez-vous, monsieur Mitchell, d’inviter cette charmante dame, qui semble beaucoup vous intéresser, à une petite promenade sur le pont ? Annonça-t-il avec un grand sourire et en posant la main sur son épaule, comme un père s’adressant à son fils. Ne manquez pas cette opportunité, je connais ma fille, je crois qu’elle a un certain penchant pour vous.
- Bonne idée, je m’en vais de ce pas le lui proposer.
Il salua sa mère et sa sœur et prit la main de la jeune femme :
- Mademoiselle Ophélia, il fait un temps superbe, que diriez-vous d’un petit bain de soleil ? J’ai repéré des bancs tout près de la proue.
Elle ne répondit pas, mais le suivit et s’assit à l’endroit qu’il lui indiquait. Le siège était étroit et leurs épaules se touchaient. Elle aurait pu se pousser un peu plus du côté du mur, mais elle ne le fit pas. Lorsque la proue attaquait sa descente, tout son corps venait s’appuyer doucement contre celui de Gaélen.
Le parfum léger qu’il avait déjà respiré l’enveloppa; ce n’était pas les senteurs lourdes d’essences florales ou celles d’un savon parfumé, mais l’odeur douce de l’herbe ou d’un ciel lavé après une pluie. Il était persuadé que c’était le parfum naturel de sa chevelure et de sa peau. Il écoutait sa respiration. Était-ce un effet de son imagination ? Il lui semblait que la respiration d’Ophélia s’accélérait au même rythme que la sienne.
La proximité de leurs deux corps les réduisait au silence. Ou était-ce dû au fracas des vagues et du sifflement du vent ? Les lèvres d’Ophélia étaient fraîches et humides et il en admira l’éclat de ses dents dans la mince ouverture qu’elles ménageaient.
Il la dévisageait, et il s’en rendait compte soudain, et elle faisait de même. Ils semblaient aussi stupéfaits l’un que l’autre, ils continuèrent à se regarder sans rien dire. Le sang battait aux tempes de Gaélen.
Il lui prit la main et la porta à ses lèvres. Elle sentit des picotements dans tout son corps et elle remarqua, avec surprise, qu’il faisait plus clair. Le soleil parut plus brillant. Des poussières d’or dansaient dans un rayon. Elle eut envie de rire, de respirer à plein poumons, de se jeter dans ses bras. « Je suis en train de tomber amoureuse » s’était-elle dit. Une vision la hantait tout à coup. C’était comme dans un merveilleux rêve : il lui faisait la cour avec animation. Il mettait un genou en terre pour lui avouer son amour. Elle posait sa main sur sa tête, et lui, il lui baisait les doigts et effleurait de ses lèvres son bras blanc puis sa bouche. Cette vision se faisait de plus en plus précise.
Ophélia laissa Gaélen l’embrasser devant l’immensité de l’océan. Il y avait longtemps que cela ne lui était arrivé, que les bras d’un homme ne l’avaient pas serrée comme pour la protéger. Elle se sentit fondre sous son étreinte. C’était une sensation merveilleuse. Faut-il s’émerveiller, une fois encore, de ces hasards qui déterminent le cours d’une existence ?
Elle avait rencontré peu d’homme, mais parmi ceux-là, Gaélen était sans aucun doute le meilleur choix. Ses sentiments paraissaient sincères. À travers sa chemise et son manteau, on distingue ses muscles durs quand il bouge. Il est tout ce qu’un homme devrait être. Et quoi d’autres… ? Il était beau, grand et fort. Il était vraiment séduisant. Les femmes le regardent d’un air de vouloir le manger à la petite cuiller. « Je veux aimer et être aimée… l’amour est le plus beau sentiment du monde et Gaélen m’aime ».
Gaélen tenait Ophélia par les épaules. Ils admiraient l’infini de l’océan qui s’étendait devant eux jusqu’à la ligne d’horizon. À partir de ce jour, lorsque la météo le permettait, ce banc devint pour ces amoureux le lieu privilégié de leurs rencontres.