Longtemps après que le repas fût terminé, la conversation entre les deux hommes demeurait très animée. La plupart du temps le ton était sérieux, grave parfois, mais, à l’occasion, des rires éclataient entre eux, signe que l’harmonie régnait. George Stuart expliquait vivement ce qu’il attendait de ses projets, griffonnait des mots, des noms, des dessins sur des feuilles de papier. Cet homme, autant sinon plus que sa quête, fascinait Thomas qui s’impliquait sérieusement, donnait son avis, sa vision du projet et des moyens de le réaliser au meilleur coût. Le regard suffisait : Stuart décelait de plus en plus le charme venu d’ailleurs de son invité, sa virilité sombre, sa force de caractère, son intelligence.
- Quelque chose me dit que je peux vous accorder ma confiance. Si vous acceptez la responsabilité de promouvoir le développement de la ville de Québec, je vous aiderai au début en vous faisant rencontrer des gens influents, gens de Québec, de Montréal, d’Ottawa, de Toronto. Tranquillement, avec le temps, vous choisirez vos propres contacts, parce qu’il vous faudra certainement compter sur Washington, New-York, Boston ou n’importe où ailleurs. Ce sera à vous de jouer vos propres cartes. Ce que je veux, c’est du résultat !
- Monsieur Stuart, à mon tour de vous témoigner ma confiance et mon total appui. À la mairie de Limerick, ajouta-t-il d’une voix quelque peu déformée par ces mauvais souvenirs, j’étais confronté à des hommes qui se disaient grands mais dont l’unique ambition était de s’enrichir sans vergogne sur le dos d’une population qu’ils ont eux-mêmes affaiblie. Ce sera un plaisir de travailler avec vous, et vous assure que j’y mettrai toute mon énergie.
- Je n’en attendais pas moins de vous, monsieur Flynn, vous me voyez heureux de vous compter dans notre équipe. Je veux vous revoir, disons… dans deux jours, mercredi matin; vous ferez la connaissance de mes conseillers dont Narcisse Fortunat Belleau en particulier, qui connait bien ce dossier et qui sera votre pilote le temps que vous en preniez les rennes par vous-même.
- Si le pouvoir d’observer et celui de déduire nous sont donnés d’une manière manifeste, il ne nous manque que le savoir et cela peut venir avec le temps. Pouvons-nous conclure, monsieur le maire, que la difficulté est grande, mais que la quête n’est pas impossible ?
Il ne faut surtout pas conclure que les horizons les plus beaux sont par nature inaccessibles.
Retournement du sort. Dans l’esprit de Thomas sa vie recommençait. Le temps qui, jusque-là, lui avait paru inexorablement lent, allait rapidement s’accélérer. Au mitan de sa vie, Thomas s’offrait maintenant des passions. C’est cela qui l’a poussé à accepter l’offre d’emploi : la curiosité… La curiosité, mais aussi l’impétuosité à toujours vouloir être ailleurs, à se dépasser pour se sentir exister.
Le jour dit, Thomas fit son entrée à l’Hôtel-de-Ville. Rasé et vêtu de ses plus beaux vêtements, il se sentait un peu dans la peau d’un étranger. Mais le lieu du rendez-vous obligeait.
Sa rencontre avec Fortunat Belleau fut très enrichissante. C’était un homme grand, mince, aux cheveux foncés, presque noirs, sous le nez une moustache coupée en brosse et des favoris touffus mais soignés descendaient sur ses joues. Les première minutes furent consacrées à la présentation de chacun, mais on ne poussa pas plus loin les confidences, cela viendrait inexorablement avec le temps. Thomas se contenta dès lors d’en apprendre davantage sur la fonction de Fortunat et le questionna sur ses travaux de recherches, consulta les plans, les devis, et s’informa sur les travaux déjà en cours.
Qu’en est-il des deux jeunes femmes : Margie et Ophélia ? Leurs visites fréquentes au marché Findlay leur ont values d’être engagées à la boulangerie. Margie excellait dans son rôle de boulangère/pâtissière. Ophélia, ayant déjà une meilleure connaissance du français s’était vue offrir le poste de préposée à la clientèle. . C’est en plein cœur du quartier Petit-Champlain que les deux familles vivaient, et parce qu’elle occupait une fonction de premier plan à cette boulangerie, qu’il serait donné à Ophélia de connaître et côtoyer régulièrement tous les habitants de la Basse-Ville. Cette perspective l’excitait et rehaussait son estime de soi. Importante pour son père, importante pour son patron, elle le serait pour tous les clients. Il lui tardait de tous les rencontrer. Matha, pour sa part, venait les vendredis et samedis prêter main forte, ces jours étant plus achalandés. Seamus sera bientôt engagé comme manœuvre par un contractant au chantier de rénovation du port.