L’allée s’était élargie un peu avant la courbe. Tandis qu’ils avançaient côte à côte, Gaélen l’observait à la dérobée. Elle était superbe. Le corps bien droit, elle regardait devant elle et ses longs cheveux bruns cuivrés noués sur la nuque bougeaient légèrement. Elle admirait le paysage.
Les chevaux enjambèrent un petit ruisseau et ils continuèrent leur chemin jusqu’à un haut plateau. La forêt de conifères s’arrêtait là, comme par magie. Au milieu d’une clairière ensoleillée, Gaélen descendit de cheval. Il attacha la bride à un arbre et, après avoir caressé le cou de la bête, revint aider Ophélia à mettre pied à terre.
Gaélen avait obtenu du gouvernement la plus grande superficie de terrain de ce nouveau développement. Cinq arpents de front, sur deux milles de profondeur soit, converti en métrique, donne une superficie de 87,6 hectares. Mise au fait de cet immense domaine, Ophélia se revit, enfant, plongée sur un livre d’images : le Chat Botté de Charles Perreault, qui possédait les immenses domaines du marquis de Carabas.
Les arbres les berçaient du frisson de leurs feuilles et aucun nuage ne venait obscurcir le ciel d’un bleu saisissant. Gaélen prit la main d’Ophélia et l’entraîna sur la pointe du cap, surplombant de quelques mètres la rivière aux reflets argentés. Le soleil montait mais le sable restait encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Mille taches sombres dansaient entre les vagues qui murmuraient avec insolence. La forêt est un univers de solitudes et de silences. Proies et prédateurs y rivalisent d’habileté pour se fondre dans le décor. Gaélen était jeune, il pouvait rêver. Mais ce qu’il s’apprêtait à découvrir était plus majestueux que tout ce qu’il s’imaginait.
- C’est ici que je veux construire notre maison, lui annonça-t-il. Ce sera notre petit château dans la campagne et je rêve de t’y installer bientôt, ma chérie.
Ophélia trouva l’emplacement féérique. Adossée aux montagnes recouvertes de pins majestueux, d’épinettes et d’érables, dont les sommets légèrement arrondis formaient des mamelons. Le plateau paraissait suspendu dans les airs, au-dessus de la Vairon, un peu en aval de l’assourdissante chute à Gorry dont le bruit, atténué par la distance, parvenait jusqu’à eux.
- Nous aurons un puits juste à côté de la maison, ajouta-t-il en pointant du doigt l’endroit où il faudrait creuser. Et plus bas, là où s’arrêtera le chemin, nous construirons l’écurie.
- Je pourrai décorer la maison à mon goût ? demanda-t-elle. Je voudrais des planchers de chêne en point de Hongrie, des murs avec des moulures ornementales et des plafonniers.
- Bien sûr, puisque tu en seras la châtelaine !
Il l’embrassa fougueusement. Puis, tout doucement, ils glissèrent au pied d’un orme géant sur lequel ils s’appuyèrent. Blottis l’un contre l’autre, ils parlèrent de leur maison de rêve. Gaélen caressait des doigts sa main, son bras, son épaule.
- Gaélen, jure-moi que cet orme, au-dessus de nous, ne sera pas abattu. Je veux qu’il reste comme le témoin de cette journée.
Ils s’étreignirent de nouveau. Après un long baiser, Gaélen suggéra que l’endroit était idéal pour faire une petite sœur à Martin qui devait être bien malheureux seul et insinua qu’il était inutile de remettre à plus tard ce qui pouvait très bien être fait sur-le-champ. Ophélia eut, pour la forme, quelques hésitations que Gaélen s’empressa d’apaiser en lui rappelant qu’il n’y avait pas âme qui vive à des lieues à la ronde. Elle s’abandonna, tandis que les longs doigts de son mari déboutonnaient le col de sa chemise et glissaient sur sa poitrine.