L’éprouvant périple

 
 
 

     Afin d’arriver à bon port, il fallait s’enfermer dans le ventre d'un navire pour plus d’un mois parfois plus de deux, et endurer les montagnes russes qui ballottaient le vaisseau ainsi que le grondement incessant du bois dans les quartiers sombres et humides. L’hygiène personnelle des matelots et des passagers laissait beaucoup à désirer. L’eau douce était trop précieuse pour qu’on la « gaspille » à laver le linge ou sa personne. On peut alors s’imaginer la puanteur qui régnait dans les entreponts où les sabords sont presque continuellement fermés. Les parasites y pullulaient. Pour le voyageur, le mal de mer, l'eau rance, la puanteur et l'étroitesse des cales, un régime lassant, les fièvres de navire, les parasites ainsi que des tempêtes violentes constituaient les misères quotidiennes.
     Le bateau pouvait avoir jusqu’à quatre pont, parfois plus, mais, à part le pont supérieur et quelques cabines de dignitaire, la hauteur des lieux était plus basse que la taille des gens; il fallait resté penché, assis par terre ou couché dans la partie du bateau qui s’appelait « La Sainte-Barbe » les autres ponts étaient réservés à la nourriture, aux marchandises et au matériel de réparation en cas d’avarie.
     La Sainte-Barbe devenait rapidement un lieu d’odeurs nauséabondes où les maladies les plus bénignes se transformaient rapidement en épidémies, souvent mortelles : mal de mer, vomissements, scorbut, diarrhées et autres maladies microbiennes faisaient des ravages.
     Au petit déjeuner, on ne se nourrissait que de biscuits, excellents sauf qu’après quelques semaines de navigation, il arrivait souvent qu’ils soient remplis de petits vers. Quant au déjeuner et au dîner, ils se composaient d'un potage fait de semoule de seigle ou d'avoine, parfois de maïs, de fèves ou de pois, auquel on ajoutait de la graisse ou de l'huile d'olive de façon à ce que le tout soit nourrissant. Heureusement que trois ou quatre fois par semaine, au déjeuner et au dîner, selon le Père Georges Fournier dans son traité d'hydrographie, « on donnait du lard et les autres jours un morceau de morue séchée et réhydratée ou du hareng saur avec une pomme de terre bouillie et une tranche de pain ». 
     Si des vents contraires ou le calme plat perduraient, on courrait le risque de voir les réserves de nourriture s’épuiser avant de toucher terre. Apparaissait alors la menace du scorbut, telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête des passagers. Aussi tard qu’à la moitié du 18e siècle, si moins de 10% des personnes à bord décédaient durant une traversée, celle-ci était considérée comme un bon voyage !
     La maladie la plus fréquente en mer et souvent mortelle était le scorbut. Celui-ci fit autant de ravages au XVIIIe siècle qu'il en avait causé au siècle précédent. Les autres maux qui occasionnaient aussi beaucoup de morts étaient ceux que l'on désignait sous le terme générique de « fièvre » « commune », « chaude », « maligne » ou « pourprée », parce que l'on ne pouvait préciser davantage la maladie. Ce mot englobait des maux comme le typhus, la rougeole, la dysenterie, la petite vérole, etc. La promiscuité dans laquelle on se retrouvait, jointe à l’absence d’hygiène, au froid et à l’humidité, faisait en sorte que ces maladies se propageaient rapidement sur les navires et que 7 à 10 % des passagers décédaient avant d’arriver en terre d’Amérique.

 

Le fléau

     À partir de 1815, nombre de personnes quittent l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande pour s'établir en Amérique du Nord. À lui seul, le port de Québec voit débarquer environ 30 000 nouveaux arrivants chaque année. Cette immigration survient au moment où la seconde grande épidémie de choléra balaie l'Asie, puis l'Europe, pour gagner la Grande-Bretagne en 1831- 1832. La crainte de voir ce flot d'immigrants transmettre la foudroyante maladie aux populations du pays incite les autorités coloniales à mettre en place, en aval du port de Québec, une véritable station de quarantaine. En 1832, la Grosse île est choisie pour la qualité de son site et les bateaux devront désormais s'y arrêter pour soumettre tous leurs passagers à une inspection médicale.
     Comme les premières installations de quarantaine sont aménagées à la hâte et que l'isolement des malades laisse à désirer, le choléra réussira à tromper la vigilance des autorités et à faire un nombre important de victimes à Québec, à Montréal et ailleurs au pays. Mais le pire est à venir. En 1847 survient une épidémie de typhus qui décimera un nombre impressionnant d'immigrants irlandais. Entassés à bord de voiliers insalubres et affaiblis par des conditions de famine, quelque 100 000 émigrants partis d'Europe vivront un véritable cauchemar. De ce nombre, 5000 périront en mer et près de 5500 autres verront leur voyage s'arrêter à la Grosse île. Le fléau provoque une intensive campagne de construction d'hôpitaux, d'abris, de baraques et de logements divers pour pallier l'insuffisance des premières installations. L'île vit aussi les actes de compassion de ceux qui cherchèrent à leur apporter un certain réconfort, matériel, médical ou spirituel, et y laissèrent parfois leur vie : médecins, infirmiers, infirmières, prêtres et pasteurs qui portèrent secours aux malades succombèrent eux aussi aux diverses épidémies.

 
 
 

     Le 25 juin 1847, le gouvernement du Canada, devant l'ampleur des dépenses occasionnées, protesta auprès du gouvernement impérial, qui semblait faire peu de cas de ses sujets irlandais. L'archevêque de Québec, Joseph Signay, écrivit aux évêques irlandais pour les prévenir du sort fatal qui attendait leurs compatriotes. Les nombreux orphelins de l'épidémie furent adoptés, principalement dans des familles canadiennes-françaises.

La maladie du Carrick

Fin avril 1832, le Carrick quitte Dublin, ville alors touchée par le choléra, avec 173 immigrants irlandais à destination de Québec. Durant la traversée, 42 passagers meurent de choléra. Le navire parvient à Québec le 3 juin 1832. Cette épidémie de choléra à Québec est la première épidémie de choléra aux Amériques.
Cette épidémie causant la mort de milliers de Québécois, le gouvernement ouvrit cette même année l'île de la quarantaine. La Grosse-Île, au milieu du fleuve Saint-Laurent, devint la station de quarantaine pour une centaine d'années et le lieu du dernier repos de milliers de passagers qui venaient au nouveau monde pour commencer une nouvelle vie.

Le naufrage du Carrick

En 1847, le Carrick quitte le port de Sligo, dans le nord-ouest de l'Irlande, avec à son bord des émigrants poussés par la famine et les épidémies. Il traverse l'Atlantique, puis, rendu dans le golfe du Saint-Laurent le 28 avril, le Carrick est surpris par une violente tempête et fait naufrage sur un récif situé un peu au sud de l'actuel phare de Cap-des-Rosiers (construit 11 ans plus tard). Sur un total de 180 passagers, 48 survivent et près d'une centaine de noyés sont retrouvés sur les rives. On les enterre dans une fosse commune au cimetière de Saint-Alban-du-Cap-des-Rosiers.
La plupart des survivants s'établissent dans les autres communautés, comme L'Anse-au-Griffon et Rivière-au-Renard, sur la côte nord de la pointe Forillon, et Cap-aux-Os, du côté de la baie de Gaspé.

 

LE PRIX DE LA LIBERTÉ
(2e partie) :

37- L’éprouvant périple
38- Le fléau
39- L’épidémie du typhus
40- Loin de la verte Erin
41- À bord du bateau
42- Un amour naissant
43 Le banc des amoureux
44- Le dilemme
45- La tempête
46 – Dans un tourbillon
47 – Terre… Terre…!
48- Le Grand Fleuve
49 – La Grosse Ile
50 – Enfin à terre
51 – Équipe médicale
52- Maureen Murray
53 – Fin de quarantaine
54- Vie de citadin
55 – Rue Petit-Champlain
56 – Le marché Findlay
57- Chantiers naval
58- L’entrevue avec George Stuart
59- Thomas au développement de la ville
60- Jour de fête
61- Joseph Signay
62- Le squatteur
63- Devenir son maître
64- La chasse aux canards 
65- Les jours passent
66- C’est la fête
67- Fiançailles
68- Octroi de terres
69- Les lots
70- Dindons sauvages
71- Qui est le père Damase ? 
72- Chavigny
73- Peau de loup
74- Chavigny en traîneau
75- L’enfant nait
76- Quai de Portneuf
77- La maison
78 - La chute à Gorry
79- Maureen et Daniel (1)
80- Maureen et Daniel (2)
81- Maureen et Daniel (3)
82- Wendake
83- Quimmik
84- La petite maison
85- Les loups

(début de l’histoire)

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Date de dernière mise à jour : 21/08/2024

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