Tous les lundis, comme à leur habitude, les médecins se réunissaient de bonne heure pour faire la tournée des malades. C’était pendant cette inspection que les hospitalisés avaient l’occasion d’exprimer leurs doléances ou de se plaindre de leurs malaises. Mais, docteurs et infirmiers, étaient toujours suivis de près par le surintendant Douglas. C’était lui qui décidait de ceux qui, hommes, femmes ou enfants, étaient maintenant en bonne forme pour céder leur place aux nouveaux arrivants et quitter la Grosse-Île pour Québec, Montréal ou tous autres destinations à leur convenance où déterminées par les agents de l’émigration.
Ces lits ne restaient pas longtemps inoccupés, un autre groupe d’immigrants arrivait dans la matinée même. Et, éternel recommencement, l’accostage d’un nouveau navire signifiait nouveaux immigrants en mauvais état nécessitants un espace pour les accueillir et des soins d’urgence.
À plus ou moins dix jours de leur arrivée, les biens portants devaient se soumettre à un examen approfondi de leur état de santé. Ceux qui ne présentaient plus de signes de contagion, dont nos six amis et les quatre musiciens, étaient conduits aux agents d’émigration afin de décider du lieu dans la société québécoise qui leur convenait le mieux. Thomas et Gaélen ont demandé à ce que leur groupe soit envoyé à Québec où tous voulaient s’établir, demande qui fut acceptée.
Ils durent répondre à des dizaines de questions, remplir et signer de nombreux formulaires en double exemplaires dont ils devaient remettre leur copie au bureau d’émigration au port de Québec après s’être présenté aux douanes, heureusement sis dans le même édifice. À la question à savoir s’ils avaient un endroit où résider, Thomas se sentit tout fier d’annoncer :
- Nous avons l’adresse d’une maison à louer rue Petit-Champlain, mais nous devons d’abord rencontrer le propriétaire qui tient boutique au marché Findlay afin de signer le bail avec lui.
Les procédures médicales et l’entretient avec les premiers agents d’émigration terminées, ce jour-là, cinquante-six personnes, dont nos amis, ont pris place à bord du Saint-George, un bateau-vapeur, faisant la navette entre la station de quarantaine et le port de Québec. Un second et interminable entretient avec Alexandre Buchanan, un irlandais, exerçant les fonctions d’agent britannique d’émigration à Québec, chacun à tour de rôle, ainsi que le contrôle des douanes, a entamé toute leur journée. Ce n’est que vers sept heures du soir qu’ils purent se rendre au marché Findlay, à quelques pas seulement, rencontrer le propriétaire de la maison à louer dont leur avait suggéré Maureen quelques temps auparavant.
Les orphelins de la Grosse-Île.
« J’ai été ému de la générosité de certaines personnes qui ont adopté des orphelins irlandais et leur ont donné une vie décente, à Québec et à Montréal. »[1]
Le 19 juillet 1847, le journal Le Canadien de Québec informe ses lecteurs que M. Harper, curé de Bécancour sur la rive sud du Saint-Laurent, en face de Trois-Rivières, parti de la Grosse-Île pour retourner dans sa paroisse, a amené avec lui douze orphelins réclamés par un grand nombre de ses paroissiens. M. O’Reilly, parti le même jour, en a amené trois. Ces deux messieurs ont eu beaucoup de peine, à leur arrivée à Trois-Rivières, à conserver les enfants dont ils s’étaient chargés. Des citoyens charitables voulaient absolument s’en emparer.
Des milliers d’enfants se sont retrouvés orphelins durant la migration, vers le Canada, des Irlandais victimes de la famine de 1847. Les pouvoirs publics, les organismes caritatifs privés et les représentants religieux ont tous joué un rôle pour faire face à cette crise. De nombreux orphelins ont été placés chez des parents ou au sein de familles irlandaises. Un nombre considérable d’entre eux ont également été pris en charge par des catholiques francophones du Canada-Est[2], et par des protestants anglophones au Nouveau-Brunswick. De nombreuses familles ont adopté les orphelins par charité, mais la plupart étaient motivées par l’arrivée d’une main-d’œuvre supplémentaire sur la ferme ou au foyer.
Le nombre de migrants enfants qui se retrouvent orphelins en 1847 est sans précédent. À la fin de cette année, des milliers d’enfants se retrouvent orphelins. Le nombre exact est difficile à déterminer, car nombre d’entre eux ont été placés de manière non officielle et les registres n’en ont pas gardé trace. Approximativement neuf orphelins sur dix étaient catholiques.
Les églises assument de nombreux coûts associés aux soins prodigués aux orphelins grâce à l’argent levé lors des collectes du dimanche et des campagnes caritatives. Au cours des quatre derniers mois de 1847, le gouvernement augmente sa participation et rembourse les dépenses afférentes aux vêtements, aux abris, à l’assistance médicale et aux déplacements offerts aux orphelins. La plupart des orphelins du Canada-Est sont placés dans des familles de même confession, mais pas forcément de même origine ethnique. À Québec, par exemple, plus de la moitié des orphelins ont été placés au sein de familles francophones catholiques,
À l’époque, la procédure d’adoption en Amérique Britannique du Nord est informelle et non contraignante. Le terme « adoption » est utilisé, mais dans les faits, il s’agit plus d’un accueil au sein d’une famille ou d’une mise en apprentissage. Malgré cette situation, les récits relatés de génération en génération suggèrent que la plupart des orphelins ont été correctement traités par leur famille d’accueil. L’orphelin Daniel Tighe, par exemple, adopté par la famille Coulombe, de Lotbinière, a fini par hériter de la ferme familiale et a fait part à ses descendants de ses souvenirs chaleureux concernant ses parents adoptifs dont un grand nombre habitent à la campagne.